Nous venons de recevoir un livre dirigé par Florence Piron, anthropologue et éthicienne de l’Université Laval (Québec), Samuel Regulus, anthropologue haïtien qui enseigne à l’Université d’État d’Haïti et Marie Sophie Dibounje Madiba, responsable du Centre de documentation du CERDOTOLA (Centre international de recherche et de documentation sur les traditions et les langues africaines) à Yaoundé (Cameroun).
Le titre du livre est Justice cognitive, libre accès et savoirs locaux. Pour une science ouverte juste, au service du développement local durable. Il est publié par une nouvelle maison d’édition canadienne qui publie des livres en libre accès, les Éditions science et bien commun. Dans les mots de Florence Piron : « Je suis certaine que vous avez compris que ce livre est en lui-même un geste de justice cognitive : plurilingue, réunissant des auteurs du Nord et des Suds, des hommes et des femmes, des seniors et des juniors, tout cela dans un livre en libre accès! » Pour accéder à ce livre sous ses différents supports ou formats (imprimé ou numérique), il faut aller à https://bit.ly/2lYqNwV. Ce livre est bien sûr en français, mais des résumés des différents chapitres sont disponibles en anglais, en créole haïtien et dans des langues africaines (n’est-ce pas quelque chose que nous devrions tous faire?). Pour prendre le pouls d’un mouvement véritablement global et plurilingue de démocratie scientifique, ce livre est fantastique. Il a été produit dans le cadre du projet SOHA qui a été financé par un réseau du CRDI (Centre de recherche sur le développement international) entre 2015 et 2017. Ce projet mobilise plus de 6000 personnes d’Haïti, d’Afrique francophone et du Québec, engagées d’une manière ou d’une autre dans la construction d’une utopie concrète. Le site du projet est https://projetsoha.org.
Extraits de l’introduction intitulée « Une autre science est possible » :
Notre utopie repose sur le partage d’un idéal et d’une colère. L’idéal, c’est celui de contribuer de manière égalitaire et sans discrimination à la connaissance scientifique pour mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons et le rendre plus accueillant et épanouissant pour tous, pour créer un monde où il fait bon vivre ensemble et d’où serait disparue cette misère abjecte qui est encore le lot quotidien de trop de familles, même dans les pays du Nord.
Notre colère, c’est d’abord celle suscitée par l’existence de tant de disparités économiques et sociales entre le monde des pays du Nord et celui des pays des Suds, plus précisément l’Afrique francophone subsaharienne et Haïti. Cette injustice sociale, qu’on la vive au quotidien ou qu’on l’ait rencontrée quelquefois, nous est intolérable.
Notre colère s’adresse ensuite à la façon dont la science tend à traiter les savoirs issus des pays des Suds, qu’il s’agisse des savoirs des « subalternisés » (les personnes analphabètes ou peu instruites, les paysans, les sans-terres, les femmes, en somme les sans-pouvoirs) ou du savoir qui est produit dans les universités de ces pays et qui est très rarement cité, utilisé ou valorisé dans la production scientifique officielle.
Le projet SOHA a généré deux enquêtes qui ont reçu près de 1000 réponses dans 18 pays, quatre colloques internationaux sur la science ouverte et la justice cognitive, un réseau de boutiques des sciences en émergence en Haïti et en Afrique, un projet de plateforme de revues scientifiques africaines en libre accès, une trentaine de vidéos, un cours en ligne gratuit (MOOC) en chantier, une maison d’édition de livres en libre accès, deux associations locales consacrées à la science ouverte, mais surtout la consolidation d’une communauté internationale d’étudiants, étudiantes, chercheurs et chercheuses engagés en faveur de la justice cognitive.
Le livre est divisé en cinq sections : 1) Justice cognitive, 2) Libre accès aux ressources scientifiques 3) Savoirs locaux, 4) Université, société et développement local durable et 5) La science ouverte, le projet SOHA : analyses et témoignages. La richesse du livre se reflète dans la diversité des auteurs et auteurs qui interviennent dans ces différentes sections. La partie sur la justice cognitive propose la traduction d’un texte de Shiv Visvanathan, le chercheur qui a mis au jour ce concept, mais les autres chapitres sont écrits presque entièrement par des auteurs et auteurs d’Haïti et d’Afrique francophone. La section sur les savoirs locaux attire notre attention sur les traditions orales, le mythe que le créole haïtien ne peut pas être une langue de science et la place des savoirs locaux dans la mondialisation. La section sur les universités, la société et le développement local durable introduit le concept de boutique des sciences, les liens entre l’université et la société civile et une université citoyenne en Haïti. La dernière section propose, entre autres contributions, de vibrants témoignages de l’espoir que suscite en Haïti et en Afrique francophone la science ouverte, le libre accès, la recherche participative et la justice cognitive.
Ce livre de 465 pages est un coffre aux trésors. Les lecteurs francophones auront beaucoup de plaisir à le lire. Ceux et celles qui ne lisent pas le français pourront utiliser différents outils de traduction sur le web pour savourer certains des bijoux qui émergent de ce travail collectif. Avis à tous ceux et celles qui sont à la recherche de chercheurs et des chercheurs des Suds, voici de nouvelles voix passionnantes!
Rajesh Tandon, Budd Hall et notre petite mais puissante Chaire UNESCO saluons l’équipe du projet SOHA pour leurs magnifiques réalisations. Nous nous réjouissons à l’avance de trouver un moment et un lieu pour collaborer dans le futur.